Organisé par Holly-Anne Whyte et Alanah Reynor du Réseau français de l’ITI
Animé par Françoise Vignon
Texte : Critique de la pièce Mrs Delgado
Fin mars, l’ITI French Network nous a fait le plaisir d’organiser un traduel opposant deux traductrices professionnelles de l’anglais vers le français. Ayant par le passé fait office d’animatrice lors d’un traduel organisé par notre groupe régional gallois (ITI Wales Cymru), j’avais pu observer à quel point ce genre d’exercice est intéressant, à la fois pour les problèmes de traduction qu’il soulève et les débats passionnés qui s’ensuivent.
Comme dans tout exercice de ce type, nos deux traduellistes ont présenté leur traduction d’un même texte, choisi pour l’occasion par l’animatrice Françoise Vignon. Ce travail avait été réalisé en amont de l’événement, qui visait alors à illustrer les difficultés rencontrées au fil du texte et à défendre les choix de traduction effectués. Au cours d’un « duel », qui en dépit de son nom se passe toujours sous le signe d’une cordiale bienveillance, le public est invité à commenter, à poser des questions et à développer la réflexion en faisant ses propres suggestions. Les deux courageuses traductrices ayant accepté de se prêter au jeu et de soumettre ce jour-là leur travail à l’examen minutieux de leurs collègues étaient Florence Mitchell, traductrice et interprète chevronnée aujourd’hui à la retraite, et Olivia Singier, traductrice française spécialisée dans les domaines de l’éducation, de l’art et des cosmétiques basée en Californie. Le texte en question : une critique publiée dans le quotidien britannique The Guardian, portant sur Mrs Delgado, une pièce du dramaturge Mike Bartlett jouée au théâtre de l’Old Fire Station à Bristol l’an passé. Un texte qui, de par sa nature, regorgeait de termes et d’expressions idiomatiques ou typiquement britanniques.
Les occasions ont donc été nombreuses de discuter, par le biais de l’animatrice, des libertés que peut prendre un traducteur dans sa tâche. Rester proche du texte ou s’en s’écarter, traduire les mots ou les idées : sur ce choix repose tout l’art de la traduction. Pour Florence, « toute traduction est une transcréation ».
Nos deux traductrices ont donc tour à tour expliqué comment elles avaient décidé d’aborder les difficultés posées par le texte. Et le public a à son tour exprimé ses suggestions par le biais de la messagerie instantanée. Premier exemple notoire de bête noire du traducteur anglais > français, le terme « community », très souvent utilisé au Royaume-Uni, a donné lieu à un débat animé sur les traductions qu’on peut lui donner en français. Ayant toutes deux écarté une traduction littérale, nos duellistes ont suggéré le « vivre-ensemble » et les « relations de voisinage », deux options qui collaient ici bien au contexte.
Si nos spécialistes penchent parfois pour la même solution terminologique ou grammaticale (comme lorsqu’elles remplacent le métier de « director » par le substantif « mise en scène »), elles nous proposent plus souvent des suggestions divergentes qui divisent parfois les avis. Comment traduire le mot « mug », cette grande tasse à thé omniprésente dans les cuisines anglaises, qui ne se fait connaître que depuis peu en France ? Doit-on coller au texte pour respecter cette spécificité toute britannique, ou s’en éloigner pour adopter une dénomination plus familière pour le public francophone ?
L’étude approfondie de traductions de qualité comme celles offertes ici fait ressortir le fait qu’au-delà de retranscrire le sens des mots, le texte lui-même prend vie grâce aux choix linguistiques du traducteur. Belles collocations (« la magie opère »), expressions idiomatiques dans la langue cible (« remplacer au pied levé », « rire dans sa barbe »), syntaxe retravaillée : tous œuvrent ensemble pour finir par un texte fluide et bien écrit qui se lit avec plaisir. Et pour nous traducteurs- spectateurs, au-delà de l’intérêt professionnel de cet exercice, une occasion de se rappeler de la joie éprouvée à chaque fois que nous trouvons la clé qui ouvre les portes de la perception au lecteur.