Hosted by the ITI French Network
By Isabelle Rouault-Röhlich
Le jeudi 18 février dernier, Isabelle Meurville, experte ès écriture inclusive et épicène depuis de nombreuses années, a animé pour nous un atelier sur l’écriture inclusive, sujet qui nous préoccupe en tant que linguistes, traductrices et traducteurs, et qui défraie la chronique, atelier intitulé : « LA LANGUE FRANCAISE EST-ELLE SEXISTE ? »
Isabelle nous a rappelé le contexte de l’écriture inclusive et ses enjeux, dans le but de nous « donner des ailes » pour adapter la langue de Molière au 21e siècle.
Lorsque Stephanie Donat a eu la bonne idée de me proposer de rédiger un petit article pour Au courant, je me suis dit que c’était peut-être enfin une occasion de participer à ce cher magazine, le sujet sur la traduction freelance en Espagne initialement proposé par mon amie Florence Mitchell n’ayant pu encore être traité !
Je dois dire qu’il y a des moments dans la vie où tout se bouscule, s’imbrique, et où l’actualité nous rattrape. En l’occurrence, il semble clair que l’atelier d’Isabelle Meurville est tombé à point nommé ! Depuis son intervention à la demande des membres du FrenchNet, l’écriture inclusive, qualifiée de « péril mortel pour la langue » ou encore coupable « d’une complexité qui n’est pas nécessaire » et portée tout récemment devant le Conseil d’État, fait du bruit, beaucoup de bruit !
Et pour cause, les enjeux sont importants : la proposition de loi de François Jolivet prône l’interdiction de l’écriture inclusive dans l’Administration française. Pour le député de l’Indre, cette graphie « complexifie l’apprentissage de la langue française » et « les experts de la dyslexie, dyspraxie et dysphasie sont préoccupés et alertent sur les difficultés supplémentaires engendrées par cette forme d’écriture ».
Le constat
Imaginons qu’un incendie se déclare dans un immeuble de votre quartier et que trois petites filles et un chat périssent dans les flammes. Ce serait affreux. Dans le journal du soir, on pourra lire : « Dans l’incendie, trois petites filles et leur chat sont morts. » Aujourd’hui et depuis trois siècles et demi, c’est ainsi que l’on écrit en français.
D’où vient donc l’écriture que nous utilisons aujourd’hui ?
Tout a commencé avec l’Académie française, qui n’a pas toujours été du côté de l’égalité des genres ou de l’inclusion, bien au contraire !
Cependant, en 1674 et du vivant de Racine, le féminin l’emportait sur le masculin lorsque dans une phrase telle que « le couteau et la fourchette sont décorées », le dernier substantif était féminin. Madame de Sévigné elle aussi écrivait :
« – Je suis enrhumé.
– Je la suis aussi. »
Mais le sort de notre langue a changé avec ce précepte adopté par l’Académie française, rapporté ici « presque » verbatim : « Si un adjectif se rapporte à plusieurs noms appellatifs, de différents genres, il se met encore au pluriel, & il s’accorde en genre avec celui des noms qui est du genre le plus noble. Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ; le masculin et le féminin sont plus nobles que le neutre, à cause de la supériorité des êtres animés sur ceux qui ne le sont pas. » Cette croustillante règle mise au point au 17e siècle par Bouhours et complétée en 1767 par Nicolas Beauzée a eu peine à s’imposer en pratique. Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle, avec la généralisation de l’école primaire obligatoire, qu’elle s’est appliquée massivement.
On ignore si c’est vraiment la faute à Jules Ferry, mais c’est ainsi que dès le CP (ou cours primaire), donc à l’âge de huit ans en moyenne, des générations d’enfants ont appris que le masculin l’emportait sur le féminin.
Aujourd’hui, à l’ère des mouvements LGBTQA+, du réchauffement climatique, du web omniscient et tout-puissant et de la réalité virtuelle, dans le désordre, une petite fille de huit ans confrontée à la règle des accords pour la première fois pourra s’étonner et dire à ses parents : « Même si c’est un chat, il l’emporte sur les petites filles ? »
Alors voilà, grâce à l’éclairage d’Isabelle, nous commençons peut-être à comprendre un peu mieux comment et pourquoi la langue française est depuis longtemps le bastion du pouvoir culturel masculin.
Preuves à l’appui, nous avons réalisé un mini-atelier ludique
L’exercice consistait à différencier l’écriture épicène et inclusive et à rendre non genrées, neutres, épicènes les trois phrases suivantes :
- En décembre, les pâtissiers talentueux engrangent 25 % de leur chiffre d’affaires annuel.
- Les habitants de Londres sont inquiets face à la pandémie.
- De nombreux médecins sont sortis enchantés de la formation.
On peut dire, « En décembre, les pâtissiers et les pâtissières de talent engrangent 25 % de leur chiffre d’affaires. », mais tout aussi bien « Le secteur de la pâtisserie réalise 25 % de son chiffre d’affaires annuel en décembre. »
Chose particulièrement intéressante, la plupart d’entre nous ont redécouvert que « médecin » était un terme épicène. Eh oui, c’est bien ça. L’écriture genrée nous l’avait presque fait oublier !
Alors, nul besoin de recourir au substantif « docteur·e », qui d’ailleurs manquerait de précision par rapport à « médecin », car il suffit de dire par exemple « La formation a enchanté nombre de médecins. »
Les variations sont infinies. Ici, nous pouvons constater que ce qui compte, c’est de savoir écrire et rythmer une phrase. Et si l’écriture inclusive, c’était aussi inclure en ne rappelant pas constamment qu’il y a des genres ? Ainsi, la proposition « Pandémie : on s’inquiète à Londres » aura un impact bien plus intéressant si on ôte toute référence genrée.
Épicène et inclusif, c’est la même chose ?
Eh bien non, même si la finalité peut être la même. Voici les définitions et traductions proposées par le logiciel Antidote :
Épicène :
Se dit d’un nom commun qui désigne à la fois le mâle et la femelle de l’espèce. Le mot marmotte est un nom féminin épicène tandis que le mot castor est un nom épicène masculin.
⇄ unisex · gender-neutral · neuter […]
Dont le féminin et le masculin ont la même forme. Le mot pianiste est un nom épicène. Noms, pronoms, adjectifs épicènes.
⇄ gender-neutral · non-gendered · epicene
Inclusif :
Se dit d’un texte, d’un style de rédaction qui privilégie les formulations qui incluent, de manière implicite ou explicite, les deux genres. Écriture inclusive.
⇄ inclusive · gender-neutral
Pour remettre les pendules à l’heure, pourquoi ne pas enfin donner à chacun sa place dans l’écriture ? Revenons à notre exemple et écrivons : « Dans l’incendie, trois petites filles sont mortes. Leur petit chat n’a pas survécu non plus. »
Les efforts de féminisation de la langue française ne datent pas d’hier. Déjà le gouvernement Fabius avait été à l’origine de la Commission de terminologie pour la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions créée par Yvette Roudy, la ministre des Droits de la femme, composée de grammairiens et de sociolinguistes et présidée par Benoîte Groult (auteure de Ainsi soit-elle (1975)), qui visait à recommander des formes acceptables pour le public et grammaticalement correctes.
Hélas, dans les médias, cette question a souvent été par le passé un sujet de railleries. On ne voit pas l’intérêt d’« enjuponner le vocabulaire ». Pourquoi ces avocates, sculptrices et autres députées s’arrogeraient-elles le droit de toucher à la langue française ? Un crime de lèse-majesté il y a encore 25 ans, l’usage intègre aujourd’hui de plus en plus ces formes nouvelles.
Isabelle nous recommande à ce sujet la lecture de Le français est à nous de Maria Candea et Laelia Veron et de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! d’Eliane Viennot.
À l’heure d’aujourd’hui, l’écriture inclusive peut également se révéler une porte d’accès non seulement vers le mieux écrire, mais aussi vers le dialogue et la fidélisation avec nos client·e·s. Car selon Isabelle, chacun·e peut s’approprier cette écriture et l’adapter à ses besoins et à ceux de sa clientèle.
Dans le même temps, c’est un angle d’approche de la langue adaptable et un outil pour nous, traductrices et traducteurs. Nul besoin donc d’être sur la défensive ni de jouer aux ayatollahs pour être inclusif·ve et prêcher la bonne parole !
On peut gager que l’évolution va se poursuivre en France, l’écriture non genrée étant déjà très avancée au Québec, mais aussi en Suisse et dans d’autres langues européennes (notamment le castillan, le catalan et le valencien).
Pour conclure, l’écriture inclusive, ce peut être aussi l’acceptation de nouvelles graphies, comme par exemple les propositions de Tristan Bartolini pour réunir « il » et « elle » ou « é » et « ée » :
Somme toute, un atelier très divertissant et plein de bon sens, pour remettre les choses dans leur contexte et aussi donner envie d’aller plus loin.
Est-il permis de poser une autre question ? Et si l’Académie française accueillait enfin en son auguste sein des linguistes ? Et pourquoi pas des traducteurs et des traductrices ? C’est juste qu’apparemment, les membres de l’Académie n’entendent rien aux questions d’inclusion. Ce serait bien, non ?! J’attends vos réponses. Et pourquoi pas une candidature collective du FrenchNet !
©2021-Isabelle Rouault-Röhlich
Pour en savoir plus
Les propositions graphiques de Tristan Bartolini :
L’alphabet épicène de Tristan Bartolini
Un article du Monde :
Comment la théologie chrétienne a lancé l’écriture inclusive
Un article du Times qui analyse le « danger mortel » couru par la langue française si elle dit oui à la féminisation :
Feminising French puts language ‘in mortal danger’, says Académie Française
Et deux articles tirés de 20 minutes :
Des députés veulent interdire l’écriture inclusive dans les documents administratifs